đź‘» Hello, pas mal de gens m’ont parlĂ© rĂ©cemment des « articles fantĂ´mes ». Non, on ne parlait pas des marronniers d’Halloween. En gros, un article fantĂ´me, c’est un article qui met plus de temps Ă ĂŞtre Ă©crit qu’à être lu. Selon une Ă©tude menĂ©e auprès de 30 Ă©diteurs allemands, 80 % des articles produits seraient des « articles fantĂ´mes ». Tous ces contenus considĂ©rĂ©s comme trop longs Ă produire et Ă lire — les enquĂŞtes, les interviews…— seraient dans le viseur.Â
Le rĂ©sultat de cette Ă©tude a le mĂ©rite d’être très imagĂ©, de donner une image concrète d’un problème global. Et sans doute de glisser vers la conclusion suivante: si on chasse ces 80% d’articles considĂ©rĂ©s comme inutiles, on règle pas mal des malheurs des mĂ©dias.Â
Je n’y crois pas une seconde. Ou plutôt je me méfie de toute conclusion hâtive, même si elle vient d’une étude intéressante. Alors, ouvrons le débat.
🧨 Au programme : 1197 mots pour 5 min 30 de lecture. Enjoy ! David.
Cette histoire d’article fantôme évoque une réalité bien présente dans nos médias : une grande partie des contenus produits et distribués en ligne ne sont pas lus. Ni lus, ni visibles ni recommandés depuis une page d’accueil, attendant que quelqu’un veuille bien les trouver, et les fasse remonter à la surface par quelque action miraculeuse aka la Serendipity.
Avec la fin du search, englouti par les IA génératives, l’avènement des plateformes fermées sur elles-mêmes, et la production exponentielle des programmes, c’est toute la distribution des contenus aujourd’hui qui se pose.
On présente ça comme un problème inhérent à l’écosystème numérique. Comme si ça n’existait pas avant. Et comme si ça ne concernait que le web.
Je me suis demandé si les articles fantômes n’existaient pas déjà dans un quotidien ou un magazine papier. J’ai cherché s’il y avait des études sur ce point précis. Et je n’ai rien trouvé. Il existe plein de chiffres sur les habitudes globales de lecture, mais je n’ai pas vu de chiffres sur la manière dont un lecteur s’empare d’un titre, ce qu’il lit vraiment dans un journal papier. Je pense qu’on aurait des surprises. Et que le chiffres de 80% d’articles fantômes sur le web n’est finalement pas si mauvais que ça si on le compare à un article passé par une rotative.
Je donne l’impression de faire de la provocation en disant ça, mais pas tant que ça. En fait, ces chiffres existent dans les journaux qui ont un jour réalisé des études qualitatives ou des focus groupes pour connaître leur lectorat. Alors certes, ces études sont conduites sur un petit nombre de personnes, donc un échantillon pas forcément représentatif. Et les résultats relèvent forcément du secret industriel. J’ai demandé autour de moi, et on n’a pas voulu me les donner. Et si on n’a pas voulu me les donner, c’est qu’ils étaient sans doute si faibles que ça en serait ridicule.
Le truc avec Internet, c’est qu’on peut tout savoir, tout mesurer : ce que les gens lisent, s’ils vont au bout de l’article, quand ils s’arrĂŞtent, après le titre, après le premier paragraphe, ce qu’ils lisent ensuite ou pas… C’est statistique et mathĂ©matique lĂ oĂą c’était empirique (traduire : au doigt mouillĂ©) dans l’ancien monde.Â
La question de la lecture d’un média ne date pas d’hier. On peut soupçonner le numérique d’avoir amplifié les troubles de l’attention (et donc le zapping), mais on ne peut pas l’accuser de ne pas avoir résolu une situation qui existait avant.
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En fait, ce qui a vraiment changé, c’est la distribution. Car auparavant, les articles fantômes faisaient partie d’un tout, d’un journal, d’un ensemble cohérent graphiquement et éditorialement. Dans une double page, un article n’était peut-être pas lu mais au moins il était vu. Il avait une raison d’être là .
Aujourd’hui, les articles —mais ça marche aussi pour les chansons— sont des unitĂ©s qui ne s’additionnent pas forcĂ©ment dans un tout.Â
Plusieurs phĂ©nomènes se sont additionnĂ©s:Â
Une explosion de l’offre. Le nombre de titres de mĂ©dias a littĂ©ralement explosĂ©, les frontières aussi (les tĂ©lĂ©s et les radios Ă©crivent des articles, les mĂ©dias traditionnels ont fini par comprendre qu’il fallait aller sur Internet). Ajoutons à ça la crĂ©ation d’articles SEO friendly crĂ©Ă©s dans le seul but d’attraper les moteurs de Google. RĂ©sultat, le volume de production est tout simplement dĂ©lirant.Â
La doctrine journalistique. Un des rĂ©flexes des journalistes, c’est de penser Ă ce qui doit ĂŞtre fait au nom d’une certaine idĂ©e de ce mĂ©tier et de rĂ©flĂ©chir en termes d’obligation plutĂ´t qu’en termes de sujets, d’intĂ©rĂŞt commun et de lectorat.Â
Prenez la période que nous sommes en train de traverser en ce moment. Si on pense journalisme, tous les sujets ont leur importance. Quand on les prend un à un, ils méritent tous d’être traités. Il faut tendre vers l’exhaustivité. Si on pense lectorat, on se dit qu’il ne peut pas absorber tout ça en permanence et qu’il faut trouver un équilibre. Tout cela crée des dilemmes très forts pour savoir quoi proposer, quoi refuser, quoi mettre en avant… Même si c’est subtil, j’ai quand même l’impression qu’il y a une différence entre choisir de produire un contenu long sur un sujet difficile en prenant le risque qu’il ne soit pas lu et le faire juste parce qu’il faut le faire.
La fin des algorithmes de classement, et la fin des algorithmes de recommandation pour les articles. C’est une des conclusions Ă laquelle sont arrivĂ©s pas mal d’éditeurs et que notre outil de mesure des performances Sherp.AI confirme chaque jour: les liens postĂ©s sur Meta sont des bouteilles Ă la mer et il devient plus pratique de poser une question Ă ChatGPT pour avoir une rĂ©ponse fausse que de poser une question Ă Google et d’avoir une page de rĂ©sultats complexifiĂ©e par des pubs et des rĂ©ponses peu pertinentes ou redondantes.Â
Il est sûrement aussi problématique d’avoir des articles non lus que d’avoir les mêmes articles lus que tout le monde. Là encore, c’est une question d’identité. Comment voulez-vous vous différencier de la masse si vous faites la même chose que tout le monde ? Et là , la fin du search devient un bouc-émissaire facile.
Le temps de cerveau disponible. On ne peut plus raisonner comme si on vivait dans un monde fini. A la concurrence interne au secteur de l’écrit, il faut additionner la concurrence des plateformes de streaming, qui détournent notre capacité d’attention de l’écrit vers l’image. Ce n’est plus suffisant de raisonner dans son seul écosystème médiatique, dans sa bulle.
Pas de conclusion facile à tout ça. Je me demande si le débat qui se cache derrière les « articles fantômes » n’est pas celui, remis au goût du jour, du « Produire moins, produire mieux ». Or, on sait déjà que ce n’est pas une équation miracle. Tout reste une question de territoire et de public. En misant tout sur le search, beaucoup de médias traditionnels ont favorisé le média à l’unité au dépend de l’unité du média. Finalement, ce sont les médias qui sont peut-être plus fantômes que leurs productions.
La seule chose que je me dis, c’est qu’au fond, gérer un média aujourd’hui, c’est gérer une application : il faut donner aux lecteurs et lectrices au moins une bonne raison de penser à vous le plus souvent possible.
LE COIN YOUTUBE
David Voinson est un enfant d’Internet. Il a grandi avec les réseaux sociaux et sans eux, il n’aurait sans doute jamais eu la carrière d’humoriste qu’il connaît aujourd’hui. Il nous le confie lui-même, sans les plateformes il aurait tout arrêté. Aujourd’hui, David s’adresse à des millions de personnes sur ses différentes pages et nous raconte les coulisses de sa production quotidienne entre story, sketchs vidéos, inspis, astuces de montage, écriture…Son interview en intégralité est à retrouver sur la chaîne YouTube d’Hupster.
Hupster
Tous les jours, une question sur l'économie de la création et tous les mercredis une saga décryptée sur une entreprise qui cartonne💡