☕️ Hello à tous ! L’avenir de TikTok aux États-Unis et dans le reste du monde se joue sous nos yeux. Même dans le cas où l’application chinoise disparaîtrait du marché américain, difficile de croire qu’elle va s’évaporer tant elle est ancrée dans les usages de ses 150 millions d’utilisateurs rien qu’aux USA.
📱 Elle reste aussi un cas unique dans la manière dont elle s’est imposée dans l’espace numérique en un temps record. Et ce n’est pas qu’une question de circonstances (coucou le Covid). Elle est l’exemple parfait d’une stratégie reposant sur l’opportunisme et le cynisme.
⏰ À l’heure où le futur n’est pas encore écrit, il est bon de comprendre comment TikTok a réussi à s’imposer face à des mastodontes comme Facebook, Instagram ou YouTube. Ça sera notre saga de la semaine. Et une sorte de masterclass nécrologique.
💥 Au programme : 1 825 mots pour 9 min de lecture. Enjoy, David !
Pour comprendre comment TikTok est devenue l’application préférée de la Gen Z, il faut se souvenir d’où elle vient. TIkTok c’est d’abord ByteDance, sa maison-mère chinoise. Et là, il faut se souvenir ce qu’est ByteDance : une usine à applications. Créée en 2012, elle lance dans la foulée pas moins de 12 applications au niveau plus que douteux. Certaines vous promettent que vous allez tellement rire que vous allez tomber enceint·e (Laugh So Much You’ll Get Pregnant) ou vous proposent une sélection de « Real Beauties » chaque jour. Un truc tellement bas de gamme que la société a mauvaise réputation et qu’elle a du mal à recruter des talents.
Ce n’est évidemment pas pour ça qu’on se souviendra de ByteDance. L’entreprise a la chance d’avoir à sa tête un patron qui a de l’intuition. Il s’agit de Zhang Yiming (dont on a fait le portrait sur Hupster), un ingénieur d’une trentaine d’années à l’époque. Et comme souvent, quand on refait l’histoire, l’entrepreneur est entouré de plusieurs légendes. Son nom aurait une signification qui colle parfaitement au personnage : « surprend tout le monde à la première tentative ». On dit aussi que l’homme a Steve Jobs pour modèle (il n’est pas le seul) et que son ambition est de changer le monde (il n’est pas le seul non plus).
Mais surtout, on lui prête une intuition qui va changer le destin de ByteDance (et un peu changer le monde quand même). Cette intuition, il l’aurait eu dans les transports en commun en observant la manière dont les gens se comportent avec leur téléphone portable. Il pressent alors le déclin de la presse traditionnelle et comprend qu’on ne « consommera » plus les news comme avant. Il faut personnaliser l’information.
ByteDance lance alors Toutiao, un flux d’actualités chinoises basé sur la recommandation. Ce n’est pas encore TikTok mais c’est son moteur qui est en train de se créer. Car Toutiao, c’est bien plus que de la recommandation telle qu’on la conçoit à l’époque. C’est avant tout un algorithme qui scrute la manière dont vous choisissez les informations qui vous intéressent pour mieux définir vos goûts et les anticiper. Pour cela, il regarde non seulement ce que vous lisez mais aussi la manière dont vous le faites : à quels moments vous faites des pauses, à quels moments vous passez à autre chose, comment vous scrollez…
Résultat : l’application se révèle complètement addictive et ses utilisateurs y passent beaucoup plus de temps que sur les autres. L’ingénierie est prête, il ne manque plus qu’à trouver le bon véhicule. Car pour le moment, c’est comme si on avait mis un moteur de Ferrari dans une Dacia.
Une autre intuition de Zhang Yiming (ou une autre légende), c’est justement se sentir qu’il tient de l’or entre les mains. Alors la recette qu’il a mise au point pour l’actu, il va l’appliquer au divertissement. Et en 2016, c’est la sortie de Douyin, dont on peut dire que c’est la première version chinoise de TikTok. Tout y est déjà presque, mais l’application va repousser les limites.
La logique algorithmique pousse donc un cran plus loin. Désormais, plus besoin de s’abonner ou rechercher, tout vient à vous, il suffit d’ouvrir l’application et de se laisser guider. Et plus on l’utilise, plus l’app a des datas sur vous pour vous servir ce que vous attendiez. Ce système répond parfaitement à une angoisse née avec les nouveaux usages numériques : le FOMO, soit Fear Of Missing Out, soit la peur de rater quelque chose. C’est ce réflexe qui pousse déjà à consulter Twitter ou Facebook de manière compulsive. C’est ce même réflexe que ByteDance exploite pour se rendre indispensable et pour inciter ses utilisateurs à scroller de manière infinie.
Bon, pour cela, il faut du contenu, sinon ça ne sert pas à grand-chose. Afin de s’assurer qu’il y aura toujours de quoi scroller, ByteDance met en place plusieurs mesures efficaces :
On baisse les barrière à l’entrée en faisant en sorte que les vidéos soient plus simples à produire et à mettre en ligne
On organise des challenges à fort potentiel viral comme des concours de danse ou des concours de filtres
On permet à des contenus de percer plus facilement
On attire les créateurs confirmés en leur promettant de devenir « famous »
On fait venir les stars de la création et les soigne bien
À ce stade, cela reste une application chinoise avec ce que cela implique, comme faire la promotion du gouvernement chinois. Pour le reste du monde, il faudra imaginer autre chose.
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L’autre chose, ça sera TikTok, version mondialisée de Douyin et indisponible en Chine et donc le nom rappelle l’urgence de scroller sous peine de rater quelque chose. Pour réussir à une autre échelle, TikTok applique les mêmes recettes que sa grande sœur. Ça marche mais pas assez. Il va falloir frapper plus fort. Et ça va se faire de deux manières ;
1/ croissance externe : dès 2017, ByteDance rachète pour un milliard de dollars MusicAlly, un service chinois similaire avec déjà une bonne base de fidèles. Quelques mois plus tard, les applications fusionnent mais c’est le nom de TikTok qui reste. Ça râle un peu mais ça passe.
2/ croissance interne : ByteDance continue de tout faire pour attirer les créateurs. Et cette fois, elle se la joue agressif avec la concurrence. Elle débauche les meilleurs ingénieurs chez Facebook et Youtube. Elle débauche également leurs influenceurs. Et elle fait de la pub chez eux pour inciter les utilisateurs à changer de camp. Maligne, elle autorise les contenus produits sur TikTok à circuler sur les autres plateformes. Des contenus qui circulent avec le logo de TikTok. Comme ça, même sur Instagram, on voit que c’est sur TikTok que ça se passe.
Et en 2019 survient un des premiers signes que ça prend : une première star «non sollicitée» et non payée se met sur TikTok juste pour le fun. Il s’agit d’Arnold Schwarzenegger et il va être le premier d’une longue liste.
Résultat : en quatre ans, TikTok réussit à atteindre 1 milliard d'utilisateurs actifs mensuels. Il en avait fallu 8 ans à Facebook, WhatsApp et YouTube pour y parvenir. Et toute cette audience, TikTok va aussi réussir à la transformer en argent, en brouillant la frontière avec les contenus publicitaires.
TikTok bénéficie alors d’une absence de réactions des GAFAM, tellement persuadés de leur puissance qu’ils ne voient pas le danger. Ils ont assisté à tellement de crashs, comme Vine, qu’ils ne sont pas inquiets.
Mais ils n’ont pas compris que TikTok est en train de transformer là où Vine a échoué : réussir à travailler et à créer un dialogue avec les créateurs, quelle que soit leur taille. Et une fois qu’ils s’en sont rendus compte, il était trop tard. Ils ont eu beau essayer de réagir en proposant le même genre de services, TikTok est d’autant plus installé que le Covid lui a permis une croissance fulgurante.
Et c’est le début des ennuis.
La première alerte a lieu quand l’Inde décide de bannir définitivement l’application de son territoire. TikTok perd son premier marché avec ses 200 millions d’utilisateurs. Et le Pakistan suit très peu de temps après. On accuse TikTok de transmettre à la Chine des informations sur les utilisateurs Indiens et d’exposer ces derniers à des contenus inappropriés. Des reproches qui vont lui coller à la peau.
Trois questions principales se posent :
1/ Que fait TikTok de nos datas ?
Cette question se pose à toutes les plateformes sans exception qui collectent nos informations de manière massive. Mais elle se pose à TikTok avec encore plus de force. Pourquoi ? Son lien avec la Chine évidemment. Sous la pression, TikTok a décidé de stocker et de traiter les données des utilisateurs américains sur les serveurs américains appartenant à Oracle. Mais des questions subsistent quant à l’accès de la Chine à ces données
2/ Que fait TikTok à nos esprits ?
TikTok est le « rabbit hole » ultime mais au sein d’un même espace. Une fois pris dans ses filets, on n’en sort plus. C’est l’effet recherché mais ça a aussi des conséquences sur la santé mentale. Des études suggèrent qu’une utilisation excessive peut exacerber les problèmes de santé mentale et contribuer aux idées suicidaires. Le problème de l’algorithme, c’est que si vous regardez des contenus dépressifs, il vous montrera d’autres contenus dépressifs. On doute aussi de sa capacité à modérer autant de vidéos. Et se pose aussi la question des filtres et nos rapports à certaines normes de beauté.
3/ Que fait TikTok à nos démocraties ?
Les experts mettent en garde contre la prolifération de fausses informations sur la plateforme. On la soupçonne aussi d’être au cœur d’une manipulation d’origine russe visant à fausser le résultat de l’élection présidentielle en Roumanie.
Bref, TikTok c’est devenu l’ennemi numéro 1. Lors de son premier mandat, Donald Trump tenté de faire interdire l’application par décret mais sans succès. Il pousse aussi pour la revendre à une entreprise américaine. Des discussions sont enclenchées avec Oracle mais ça n’aboutit pas non plus.
La présidence Biden n’est guère plus clémente du fait de la confrontation entre les États-Unis et la Chine et c’est même le Congrès qui vote l’interdiction de TikTok aux USA au 19 janvier. Bon, sauf qu'entre temps, Donald Trump s’est rendu compte de l’utilité de la plateforme durant sa campagne et aujourd’hui, il veut proposer une solution politique.
La Cour Suprême doit décider si l’interdiction s’applique donc dès maintenant ou si un délai peut permettre de trouver une autre voie. Les signaux envoyés par TikTok ne respirent pas l’optimisme. Ça fait déjà un moment que ByteDance cherche à organiser une forme de migration sur une autre de leurs applications, Lemon8.
Reste qu’il paraît difficilement imaginable une disparition de TikTok du jour au lendemain. Ces derniers jours, on voit même Elon Musk laisser croire qu’il pourrait racheter l’application. Ce qui aurait du sens vu la manière dont les choses s’imbriquent en ce moment. Ça serait horrible mais ça aurait du sens.
UN MOT DE NOTRE CHAÎNE YOUTUBE
En quelques mois, Victor Habchy a créé un petit empire de la food sur Insta et TikTok. Vous avez forcément déjà vu ses vidéos depuis son compte « Le Guide Ultime (@leguideultime ) ». Aujourd'hui, 5 ans après sa première vidéo, il dirige une entreprise de 6 personnes et organise des évènements toujours plus XXL autour de sa marque. Il nous a confié les recettes derrière son succès et a aussi décrypté pour Hupster son mantra : le « deadlinism ». Régalez-vous ! Et le tout est à voir sur notre chaine YouTube.