👀 La saga Substack, la dernière frontière du journalisme ?

👉 Question subsidiaire : les journalistes ont-ils encore besoin des médias ?

Hupster
5 min â‹… 12/03/2025

Hello, comme souvent quand on parle de disruption, il est question de bons sentiments. Ainsi, quand Substack a lancé sa plateforme de newsletter, il s’agissait de remplacer un intermédiaire par un autre mais au bénéfice des journalistes et des écrivains, en manque de liens directs avec leur public. Et de sources de financement directs aussi.

Alors, on va essayer de voir si tout cela est toujours vrai. Et nous, on va faire ça sur Kessel.

🧨 Au programme : 1 330 mots pour 7 min de lecture. Enjoy ! David.


2017-2022 : la fuite des cerveaux

2017, c’est l’année de naissance officielle de Substack. Mais l'idée, elle, est née un an auparavant dans les têtes de Chris Best, Jairaj Sethi et Hamish McKenzie. Les deux premiers faisaient partie de l’aventure déçue de Kik Messenger, une sorte de Whatsapp qui n’a pas fonctionné. Le troisième personnage de la bande, lui, était un journaliste tech.

Tous les trois font le constat du déclin des médias américains. Déclin économique qui pousse bon nombre de journaux à licencier. Désillusion sur le numérique avec la prédominance de contenus clickbait et une épidémie de fake news (déjà). Bref, il est temps d’inventer autre chose, de proposer une nouvelle circulation de l’information. Et une nouvelle «raison d’être» pour les auteurs et les autrices.

Le trio s’inspire d’un célèbre blog techno qui fonctionne -très bien- sur abonnement. Et ce blog cartonne car les gens payent pour l’auteur et la confiance qu’ils ont en lui. Les fondateurs disent qu’ils peuvent reproduire ça à grande échelle. Et donc à la différence d’un Medium, ils veulent miser, non pas sur les contenus eux-mêmes, mais sur celles et ceux qui les produisent. Et plus particulièrement, les journalistes et les écrivains.

Substack se lance donc en octobre 2017. D’abord chaperonnée par Y Combinator (dont on a raconté la saga ici déjà), la plateforme parvient à recruter quelques grands noms du journalisme qui ont fait leur deuil des médias traditionnels. En soi, le service proposé n’est pas nouveau. La plateforme permet de rédiger, d’éditer et d’envoyer des newsletters, envoyées par e-mail aux abonnés et partagées sur le web comme un article. C’est juste que son service est hyper simple et c’est le contexte lui, est nouveau.

Substack parfait son discours autour de cette idée : l’avenir du journalisme se jouera chez elle et dans une relation directe entre les abonnés et les auteurs. Ces derniers peuvent monétiser directement leur public s’ils décident d’éditer une newsletter payante, la plateforme prenant une part de l’abonnement. Et sinon, c’est gratuit et sans pub. L’objectif : leur permettre de créer leur propre empire médiatique.

Un trio de fondateurs posant pour Lauren Segal pour The New York Times

Le temps passant, des journalistes de renom finissent par rallier la plateforme avec cette promesse de ne plus dépendre de personne mais seulement d’eux-mêmes. Pour aller un peu plus vite, Substack en débauche certains en leur promettant des avances sur recettes, comme un producteur de disques ou un éditeur de livres.

Pour choisir ses cibles, la plateforme ne se focalise pas sur les contenus (ça lui jouera des tours, on y reviendra). Elle regarde la communauté qu’un auteur a pu constituer autour de lui et si cette communauté est enthousiaste, active et activable. Bref, si elle paye déjà ou si elle sera prête à le faire. Substack propose même un accompagnement juridique en cas de problème.

Un peu comme le podcast est revenu à la mode au milieu des années 2010, la newsletter qui existait aussi depuis très longtemps, (re)devient un outil incontournable. Et la communauté Substack grandit très vite, notamment au moment du Covid. Déjà parce qu’elle est un moyen de garder le lien mais aussi parce que les conséquences de la pandémie accélèrent les départs des journalistes des rédactions classiques tandis que ces derniers ont besoin de retrouver des lieux où écrire. Et éventuellement gagner leur vie.

Et ce que Substack réussit le mieux, c’est son système de recommandations qui permet de faire vivre les dizaines de milliers de newsletters publiées chaque jour. Et ça fonctionne: certains de leurs auteurs finissent par devenir riches. Très riches. En août 2021, les 10 premiers éditeurs de Substack gagnent au total 7 millions de dollars. L’entreprise n’est pas encore rentable, elle a juste eu besoin de lever 90 millions de dollars, elle en pèse 650 millions, elle a développé des offres localisées partout dans le monde et elle gère déjà 1,5 million d’abonnements payants.

Mais bon, vous vous en doutez, tout cela est un peu trop beau pour continuer sans écueils.


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2021-2024 : le temps des marrons

Ce qui devait arriver finit forcément par arriver. A force de ne pas s’intéresser aux contenus publiés et revendiquer une totale liberté d’expression, surviennent les premières polémiques. On assiste notamment à une « mutinerie » d'un groupe d'écrivains qui refusent de partager la plateforme avec des auteurs tenant des propos anti-transgenres. Substack y répond en « recrutant » des auteurs transgenres. Mais sans revoir sa politique de fond.

Et deux ans plus tard, rebelote version nazie cette fois. Une enquête de The Atlantic trouve au moins 16 newsletters comportant des « symboles nazis manifestes » et affirme que des suprémacistes blancs ont été autorisés à publier sur la plateforme et à en tirer profit. Des centaines d’auteurs menacent de quitter Substack et beaucoup passent à l’acte quand la société décide de ne pas changer de politique.

En effet, l'entreprise se contente de déclarer qu'elle n'interdira pas les symboles nazis ou la rhétorique extrémiste tant que les auteurs de newsletters n'incitent pas à la violence. Frontière un peu mince, mais ils veulent tenir cette ligne. Et la polémique ne cesse de leur coller à la peau. Ils finissent par perdre Platformer, une de leurs publications les plus importantes, qui décident de migrer après que son auteur a constaté par lui-même la réalité de cette (non)politique de modération.

Et pourtant, cela ne les a pas empêché de miser sur un virage politique en 2003 à la veille de l’élection présidentielle américaine. Mais peut-être au contraire avaient-ils anticipé le tsunami trumpien et cette vague de free speech qui le sous-tend.

Mais le plafond de vert n’est pas seulement idéologique, le modèle tout entier a ses limites. Il y en a trois principales :

  • les newsletters sont très mal référencées et on ne peut pas utiliser les techniques de référencement pour grossir au-delà de l’écosystème Substack

  • les données pour analyser l’audience sont très limitées

  • plus les auteurs gagnent, plus les 10% de commissions de Substack paraissent énormes

On l’a compris, ces questions touchent les newsletters qui commencent à fonctionner et dont certaines se disent qu’il est temps de migrer pour devenir vraiment autonomes. Et avec elles, Substack perd parmi ses plus gros fournisseurs de cash.

2024 et après ?

Malgré que tout ce que j’ai raconté plus haut, on peut dire que Substack a gagné la bataille des newsletters, même si la concurrence — comme Ghost — reste forte. Elle a résisté à Twitter qui avait racheté un des ses concurrents et elle a même refusé les avances d’Elon Musk, devenu boss du réseau social et qui voulait le marier avec elle. Mais elle n’a pas encore gagné celle de sa rentabilité. Il n’y a pas urgence, le plateforme est installée et soutenue, une de ses dernières levées de fonds a même consisté à solliciter directement les lecteurs.

L’heure est aujourd’hui à diversifier les services pour étoffer l’offre. Après les podcasts il y a 3 ans, Substack muscle désormais son offre vidéo. Dans l’espoir de récupérer les miettes de TikTok si l’application chinoise est définitivement bannie du sol américain. Depuis quelques jours, les créateurs peuvent télécharger, publier et monétiser des vidéos entièrement depuis leur téléphone. Et faire alerter directement leurs abonnés qu’une video est disponible. Déjà, il apparaît que ceux qui se sont mis à la vidéo leurs revenus augmenter plus vite que ceux qui ne l'ont pas fait.

Et l’IA dans tout ça ? De par l’engagement sur lequel repose cet écosystème, on pensait que Substack serait préservé des bouleversements provoqués par la production de contenus à grande échelle rendue possible par les outils d’IA. Et bien ce n’est pas le cas. Une enquête de WIRED montre que Substack héberge déjà de nombreux écrits générés par l'IA, dont certains sont publiés dans des newsletters comptant des centaines de milliers d’abonnés avec des auteurs de renom. Pour une entreprise qui a construit son discours et son positionnement sur la promesse d’un journalisme de qualité débarrassé de cette injonction de produire en masse des contenus à faible valeur ajoutée, il va y avoir un vrai problème de promesse à résoudre.

(A demain pour une nouvelle question Hupster)


UN MOT DE NOTRE CHAINE YOUTUBE

Swann Périssé a tout connu sur YouTube : les galères de tournage, les collab' improbables, les vidéos virales incontrôlables. Aujourd'hui, pour Hupster, elle dresse le bilan de ses 10 ans passés sur la plateforme et nous raconte comment ses débuts et ses premières vidéos ont façonné sa manière d'écrire et de faire rire les gens aujourd'hui. Ça se passe sur notre chaine YouTube et c’est dispo juste ici.

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