Comment Gladia 🇫🇷 a réussi à battre OpenAI ?

👉 Et pourquoi il ne faut jamais croire que sa première idée est la meilleure...

Hupster
7 min ⋅ 30/10/2024

🔎 Gladia, c’est une des petites françaises de l’IA, comme on les appelle dans les médias. C’est vrai que ce qualificatif n’est pas usurpé tant la startup spécialisée dans la reconnaissance vocale a réussi à se faire un nom avec plusieurs avancées technologiques notables comme la traduction en temps réel et en plusieurs langues.

🙋 Gladia, c’est aussi une personnalité en la personne de son cofondateur : Jean-Louis Quéguiner qui a la franchise de raconter de manière très cash ce que lui et son entreprise ont traversé pour en arriver là. Je l’ai appelé, on a passé un moment ensemble, il m’a raconté toute l’histoire de Gladia. Que j’ai évidemment utilisé pour m’aider à retranscrire son interview. Je confirme : ça marche très bien.

💥 Au programme : 2015 mots pour 09 minutes de lecture. Enjoy, David !


«Je travaille chez OVH, mais je suis un peu frustré. J’avais monté une boîte avant qui n’avait pas marché. A force de cotoyer Octave et Miroslaw Klaba, les deux frères fondateurs d’OVH, ça me donne envie de refaire de l'entrepreneuriat. Dans le quotidien de mon travail, je vois que les utilisateurs et les développeurs ne comprennent pas trop ce qui était en train de se passer avec l’IA. On est avant OpenAI qui va débloquer les chakras de tout le monde. Je me dis qu’il faut accompagner ce mouvement. Je commence à penser à un produit, un système en open source, une sorte de boîte noire qui intègre plein d’APIs d’intelligence artificielle. 

Je me suis mis à mettre cette idée en code. J’ai la chance de pouvoir la faire tester à mes clients. Et tout cela finit par devenir un projet que j’aime, et dont j’ai envie de faire quelque chose. Dans le même temps, à titre personnel, je continue à investir dans des startups, je connais pas mal de fonds avec lesquels je conclus des deals et j’en viens à parler de mon projet avec tout ce petit monde et ils me disent tous de me lancer. Et je finis par céder.»

La fameuse « photo rooftop » chère aux startup française dans leur siège parisien

«Je suis quelqu’un de très direct donc je parle de mon envie aux frères Klaba. Ils sont extraordinaires et me disent : « Si ça te plaît, vas-y, on te supporte à fond ». Dans ce genre de situation, la première chose à faire, c'est en parler autour de soi. Contrairement à ce qu’on pense, il va y avoir beaucoup plus de gens qui t’aident, qui te poussent, qui sont respectueux et admiratifs que de gens qui te disent que tu es un traître de quitter une entreprise. Par ailleurs, quand tu en parles autour de toi, tu vas recevoir du feedback pour t’aider à mieux cerner ta propre opinion sur ton projet.

Bon, ensuite, je commets une première erreur. J’enregistre mon entreprise deux jours avant de quitter officiellement OVH. Résultat : je n’ai pas le droit de toucher l’aide à la création d’entreprise. Je n’ai pas été bon élève, je n’ai pas fait les choses dans l’ordre. Ça aurait pu me coûter cher.

Mais heureusement, il y a autre chose qui se passe : comme je suis business angel, j’ai aidé beaucoup de gens sur mon temps libre, pour leur trouver un CTO, les aider à négocier un contrat avec un cloudeur, leur apprendre à faire du machine learning, à créer des algorithmes … Quand je me lance, toutes ces personnes ouvrent leur carnet d’adresses, contactent leurs fonds pour leur dire que je suis génial, que je les ai aidées et que maintenant il faut m’aider à mon tour et me suivre. Et les fonds me suivent.

C’est aussi le moment où je commets d’autres erreurs. La principale, c’est de penser que ma première idée est la bonne.»

«Je me mets en quête d’un associé et cofondateur. Et là, il y a une technique simple : tu prends les trois personnes autour de toi qui comprennent le mieux ton projet et tu leur demandes quelles sont les trois personnes que je devrais rencontrer pour en discuter. Et à chacune de ces trois personnes, tu vas leur demander de te rediriger vers trois autres personnes avec lesquelles tu devrais parler. Et ainsi de suite, jusqu’à trouver la bonne personne. C’est comme ça que je rencontre Jonathan Soto, dont le nom revient tout le temps.

Ensuite, il faut que je teste mon idée parce que tu dois trouver ton Product Market Fit, c’est essentiel. Et bien, tu répètes le même principe : tu prends ton produit, tu le montres aux gens. Pas pour le vendre, juste pour avoir un avis. Puis tu leur demandes à qui tu devrais le montrer… Et ainsi de suite. Très vite, tu vas avoir des sujets qui vont revenir sur le tapis et qui vont te forcer à te demander qui a besoin de ton outil, qui a le budget pour l’acheter et à quel point les utilisateurs pourraient s’en passer ou pas. Si tu coupes Gmail, tout le monde gueule. Voilà, toi, ce que tu dois proposer, c’est un produit qui, si on le coupe, tout le monde gueule.

C’est comme qu’on comprend que nous n’avons pas la bonne démarche. Il va falloir être radical et se recentrer.»


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«Nous avons tous une quantité énergie définie. Dans une journée, tu as 24 heures. Dans une semaine, tu as 7 jours. Ton temps est limité, ton énergie est limitée, ton «focus» est limité, tu ne peux pas tout faire. Et à force de vouloir tout faire, tu ne fais rien. De plus, nous les techs, on pense que plus un produit a de fonctionnalités, mieux c’est. En réalité, un produit qui a plus de fonctionnalités est moins lisible et moins différenciant sur le marché. Résultat : ta marque est diluée, et tu n'as pas d'impact. Tu peux te dire que tu vas te différencier sur le prix mais si tu tailles sur le prix, tu commences à tailler sur la qualité. Et ce n’est pas bon.

On comprend donc qu’on doit se concentrer sur un seul produit, et pas une boîte avec 500 outils dedans…. Mais lequel garder pour le développer ? Ce qu’on fait, c’est qu’on prend les quatre branches dans lesquelles notre boîte à API intervient : la finance, la supply chain, la relation client et le marketing. Et on cherche à savoir dans ces branches quel est le problème que les entreprises n’arrivent pas à résoudre. On appelle des gens autour de nous pour leur poser cette question. Et à un moment donné, un service client nous demande si on fait de la reconnaissance vocale. Je comprends alors que ce qu’ils utilisent ne donne aucun résultat. Je leur demande de me passer leur CTO qui me dit avoir essayé les solutions existantes, Google, Amazon, Microsoft… Mais elles sont lentes, la qualité n’est pas bonne et c’est cher. Et ça, on l’entend une fois, deux fois, trois fois, six fois… On appelle alors les gens qui bossent dans ce domaine et on essaye de comprendre ce qui se passe. On sent qu’il y a quelque chose à faire et qu’il y a quatre problèmes à résoudre : vitesse, prix, qualité et multilinguisme. Ça nous a pris 50 heures de réunions et de rendez-vous par semaine durant deux mois, mais on trouve notre chemin.

À ce moment-là, il faut vous imaginer la scène : je prends tout le code sur lequel j’ai travaillé depuis deux ans et j’archive tout, sauf les lignes concernant la reconnaissance vocale. C’est très douloureux. Et il faut aussi l’expliquer aux gens avec qui on travaille, aux actionnaires. Certains comprennent. D’autres non. Il faut leur tenir tête. Mais la chose la plus importante, c’est de pivoter rapidement.»

«On commence à travailler sur la qualité et la vitesse. Et très vite, on comprend pourquoi les solutions existantes sont aussi lentes. Le jour où on fait tourner notre algorithme, il met 10 secondes pour une heure d’audio, là où les autres mettent 45 minutes. Le tout avec une qualité quasi-équivalente. On sait qu’il faudra améliorer cette qualité mais surtout, on sent qu’on a craqué quelque chose. Je poste le résultat sur Twitter et là, ça part dans tous les sens. Mon tweet finit par faire un demi-million de vues, il est retweeté par Yann Le Cun et dans la nuit, 5000 personnes se connectent sur notre système.

Là où on sent qu’on tient quelque chose aussi, c’est avec notre code switching, le fait de pouvoir passer d’une langue à une autre, même dans une retranscription live. C’est un avantage que nous avons sur nos concurrents américains qui n’ont pas cette culture de la traduction multilingue ou de la reconnaissance des accents. Je ne peux pas vous dire comment nous arrivons à craquer ça car beaucoup ne sont pas encore capables de le faire. Mais c’est comme ça qu’on rentre sur le marché américain qui représente aujourd’hui 50% de notre chiffre d’affaires.

Il y a aussi des signes qui ne trompent pas. Comme quand on monte un partenariat avec une boîte américaine qui s’appelle Recall.ai. Ils nous disent que ce qu’on fait, on est les seuls au monde à être capables de le faire. Ou quand on sort notre API et on apprend que ça a gueulé dans les bureaux de Microsoft et d’OpenAI pour savoir pourquoi on était les premiers sur certaines fonctionnalités et pas eux.

Quand tu as ces échos-là, quand tu commences à rentrer des deals avec de belles marques, que tu fais de beaux partenariats… tu sais que tu as réussi quelque chose. Parce que c’est dur d’y parvenir, c’est un métier un peu bâtard. La reconnaissance vocale existe depuis longtemps, les gens ont des systèmes établis. Il faut se faire sa place. C’est dur. Petit à petit, on comprend qu’on est en train de bouffer le territoire de ceux qui étaient là avant nous.»

«Ce matin. Hier. Avant-hier… Il y a des moments qui sont plus faciles que d’autres mais tous les jours, tu doutes. C'est pour ça que tu as besoin de mentors, de business angels, que tu as besoin de soutien autour de toi, de ta famille. Le plus difficile, ça a été la période où on a cherché notre Product Market Fit. Je me disais que la boîte n’allait nulle part. J’ai dit aux investisseurs que si on n’arrivait pas à le trouver, on leur rendait l’argent.

Une fois que tu y arrives et que tu as ton premier million de revenus, ne pense pas que tu vas pouvoir te reposer. Il faut aller chercher les 10 millions suivants. Tu commences à être visible, tu te fais cracher dessus par des concurrents. Heureusement, il y a ceux aussi qui te félicitent et te respectent.

Quand Jean-Louis réfléchit trop (photo Frenchweb)

Tu dois composer aussi avec le syndrome de l’imposteur. Tu penses que tu n’es pas légitime. Tu es face à des boîtes qui ont 15 ans d’existence, qui ont levé des centaines de millions et tu te dis que c’est pas normal d’être là. Et puis tu finis par voir pourquoi tu y arrives là elles échouent. Tu comprends que tu es là au bon endroit, au bon moment.

Mais c’est dur. En ce moment, il y a beaucoup d’argent et beaucoup de gens prêts à tout. OpenAI perd 5,7 milliards de dollars par an. Ils ont refinancé la boîte de 6 milliards. Tout le monde applaudit des deux mains. Et à la fin de l'année prochaine, ils reprendront 6 milliards pour remplir la caisse. Comment on se bat contre quelqu'un qui a une poche quasi illimitée ? La seule chose qui compte c'est de tenir dans le temps. C'est une question de résilience.

Et personnellement, j’ai fait le choix de ne pas être à Paris mais à Rennes, d’avoir des enfants… Dans mon travail, il y a des choses difficilement compatibles avec une vie de famille en dehors de Paris. Alors ma préoccupation au quotidien, c’est de trouver le bon équilibre.»

«Lever de l’argent, ce n’est pas une question de trésorerie. Les fonds pour nous, c'est de la recherche, du développement de produit et commercial, du marketing… Nous sommes dans une course permanente et c’est un moment crucial. On a besoin de garder notre avance technologique.

Et nous sommes face à un choix. Tu peux décider d’avoir une boîte profitable, une petite PME et c’est éminemment respectable. Ou lever de l’argent pour aller se battre sur le même terrain que les autres. Nous, on a envie de faire une grosse boîte, c’est le choix qu’on a fait. Alors on a levé 20 millions de dollars en tout. Aujiourd’huy, on a 84 000 utilisateurs sur notre plateforme, on a plus de 700 clients. On est 30 employés. Il n’y a quasiment pas de démission. Les gens ont l’air heureux. C’est très important.»


UN MOT DE NOTRE CHAÎNE YOUTUBE

David Voinson est un enfant d’Internet. Il a grandi avec les réseaux sociaux et sans eux, il n’aurait sans doute jamais eu la carrière d’humoriste qu’il connaît aujourd’hui. Il nous le confie lui-même, sans les plateformes il aurait tout arrêté. Aujourd’hui, David s’adresse à des millions de personnes sur ses différentes pages et nous raconte les coulisses de sa production quotidienne entre story, sketchs vidéos, inspis, astuces de montage, écriture…Son interview en intégralité est à retrouver sur la chaîne YouTube d’Hupster.

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