🔎 Hello, on vous emmène tout l’été aux frontières de l’intelligence artificielle. Quatre personnalités racontent leurs expériences, leurs craintes, leurs espoirs avec à cette rupture technologique dont on peine encore à mesurer l’impact. Aujourd’hui, pour terminer cette série, l’écrivain Laurent Gounelle qui réfléchit beaucoup à la manière dont l’homme doit conserver ce qui fait sa singularité face aux machines.
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Laurent Gounelle est ce qu’on appelle un auteur à succès. C’est-à-dire qu’il vend des livres par kilotonnes. La raison : il sait capter et mettre en romans des questions d’aujourd’hui, qui traversent la société. En cherchant à prendre de la hauteur pour nous proposer de les regarder autrement. Avec humilité et bienveillance.
Dans son nouveau roman Un monde presque parfait, il s’attaque à la manière dont l’intelligence artificielle modifie la société et les relations humaines. Et nous fait réfléchir sur ce qui constitue l’humanité face à des telles ruptures technologiques.
Prenons de la hauteur avec lui…
Laurent Gounelle, un homme à la hauteur // © Hachette
Quel rapport vous entretenez avec la technologie ?
J'ai 57 ans, je suis une génération où, quand on était enfant, chaque avancée technologique était vécue comme étant extrêmement enthousiasmante, extraordinaire. Mais la première fois que j’ai utilisé des applications sophistiquées, qu’on ne nommait pas encore IA, ce qui m'a sauté aux yeux, c'était leur aspect pratique.
Je n’ai pas changé d’avis. C’est juste que maintenant, je me pose des questions sur l'humain, sur la société. Je m’intéresse à ce que la technologie, par exemple, induit en nous. Et manifestement, l’IA est un bon serviteur, mais est-ce qu'elle n'est qu'un bon serviteur ?
C’est le point de départ de votre dernier roman, « Un Monde Presque Parfait » ?
Dans ce roman, je décris un monde futuriste, mais pas tant que ça. Avec ses aspects positifs. Il y a des gens qui vivent dans cette société ultra développée et qui ont une vie facile, confortable. L’IA les a libérés du travail pour la plupart d'entre eux. 80% d'entre eux restent à la maison avec un revenu universel, sans perte de pouvoir d’achat. Ils ont une vie facile.
Et en même temps, j'ai aussi à l'esprit ce que ça peut induire de moins positif en nous. Par exemple, le fait de prélever les hommes d'un travail, c’est très bien pour les gens qui ont un équilibre difficile, pour qui le travail est une contrainte, voire une torture. Mais pour celles et ceux qui s'épanouissent quand même dans leur travail, même s’il y a des aspects négatifs?
Si on n'a plus le travail, comment va-t-on se réaliser ? Cette question mérite d'être posée. Rester chez soi et regarder Netflix toute la journée, ce n'est pas épanouissant.
Autre élément de réflexion : si la technologie est un bon serviteur, il ne faut pas non plus qu'elle devienne un maître. Car ce sera un mauvais maître. Il n’y a qu’à voir l'effet que génère en nous la plupart des applications avec la production de dopamine dans notre cerveau. Quand on réussit quelque chose, on ressent un plaisir lié à cette production de dopamine, qui nous donne envie de nous investir. Sauf qu’avec la plupart des applications et des réseaux sociaux, c'est très facile d'avoir une décharge de dopamine.
On peut avoir de la dopamine à la minute, sans besoin de s’investir dans des actions qui ont du sens, qui demandent un investissement à plus long terme. A chaque instant, mon cerveau sera tenté de me suggérer une source de plaisir facilement atteignable.
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L’IA dit quoi de nos obsessions du moment ?
Pour me renseigner sur les technologies et leurs impacts, j’ai beaucoup lu. Je me suis beaucoup documenté. J’ai aussi demandé à ma fille de me faire une démonstration de ChatGPT, et j’ai appris au passage que tous ses amis faisaient leurs devoirs avec une IA.
Et tout cela me dit que depuis le 19e siècle et la révolution industrielle, on a progressivement limité la notion de progrès au seul progrès technologique. Le progrès humain est un peu passé à la trappe. Le progrès humain, pour moi, c'est quoi ? C'est apprendre à se connaître, c'est améliorer nos relations avec les autres, c'est apprendre à gérer nos émotions, c'est développer nos capacités cérébrales. J’ai même parfois l’impression qu’on utilise les technologies pour compenser le déclin humain. C'est pas anodin. Dans bien des domaines aujourd'hui, la technologie a une influence sur la construction de chaque humain.
On nous présente l'IA aujourd'hui comme une grande rupture technologique, la plus grande depuis l'arrivée d'Internet. Est-ce que vous comprenez que ça provoque à la fois beaucoup d'espoir et beaucoup de craintes ?
J'ai vraiment le sentiment de vivre l'histoire en temps réel. On vit une période de grand basculement. Avec des aspects très enthousiasmants notamment sur le plan médical (NDLR : lire la newsletter d’il y a 15 jours). Et d’autres bouleversements qui interrogent.
On ne se rend pas compte à quel point beaucoup de métiers vont être remplacés. Dans mon domaine, par exemple, on a appris il y a quelques semaines que des éditeurs ont décidé de ne plus faire appel à des traducteurs pour traduire des ouvrages étrangers. Ils passent par des IA.
Ce n’est pas qu'une question de remplacement. Est-ce qu'on aura même envie de continuer ? Si demain, un IA écrit des romans initiatiques mieux que moi, même s'il y a toujours des gens qui ont envie de me lire, est-ce que moi j'aurais toujours envie d’écrire ? Ce n’est pas sûr. Je vais vous raconter une anecdote. Il y a 20 ans, j'ai acheté un échiquier électronique. Et à chaque partie, il me battait à plate couture. Résultat : j’ai rangé l'échiquier dans un placard. Je ne l'ai pas ressorti depuis 20 ans. Pourquoi ? Parce que ça n'avait plus aucun intérêt. Parce que face à un adversaire, il faut avoir l'espoir de pouvoir gagner pour continuer. Il y a une motivation liée au fait de progresser et de pouvoir réussir. Sinon, je suis seul.
Vous pensez qu'une IA peut devenir autrice un jour, à terme ?
C’est déjà le cas. On assiste à une déferlante de livres écrits par une IA et publiés en auto-édition par Amazon, à tel point que la plateforme a mis une limite au nombre de livres qu'un auteur a droit de publier sur le site. Trois par jour. Et j’ai vu une enquête montrant que seuls 19 des 100 livres les plus vendus sur Amazon dans la catégorie "Romance contemporaine" avaient été écrits par des humains.
Il y a peut-être une différence entre publier un livre et être auteur. D’ailleurs, la manière dont nous vend aujourd'hui l'IA, c'est qu’elle nous débarrassera des tâches ingrates pour qu'on puisse se consacrer à ce qui fait la valeur ajoutée humaine. A votre avis, c'est quoi la valeur ajoutée humaine ?
Il y a au moins deux capacités que les IA n'auront jamais. D’abord, la capacité émotionnelle. L'IA ne ressentira jamais la moindre émotion. Il lui faut simuler, manifester des signes extérieurs de l'émotion, mais elle ne ressentira rien. Ensuite, l'intuition. L'IA n'est pas douée d’intuition, cette capacité à accéder de façon directe et immédiate à une information qui n'est pas pourtant directement exercée par l'enseignement.
Je veux croire que les personnes qui travaillent sur l’IA croient sincèrement que ça va libérer les gens du travail pour leur permettre de faire autre chose. La question, pour moi, n'est pas tant de juger l'intention plutôt que d'évaluer les effets. Et moi, mon expérience dans la vie, c'est que rien n'a que des effets positifs ou que des effets négatifs, mais le plus souvent, les deux en même temps.
La seule chose, c'est que les effets négatifs risquent d'arriver en masse, de ne pas être anticipés, justement, parce qu'on ne voit que l'effet positif, qui est sans doute réel. Et que ça risque d'arriver très rapidement et de bouleverser des équilibres sociaux, des équilibres personnels.
On parle beaucoup de questions éthiques autour des développements de l’IA…
Je n'y crois pas une seconde, ne serait-ce que parce que le monde, malheureusement, se développe dans un esprit de compétition. Les gens sont en compétition entre eux, les entreprises sont en compétition entre elles, les pays sont en compétition entre eux. Même si c'est une aberration, car ce n'est ce qu'on peut observer dans la nature. La nature mise beaucoup plus sur la coopération que la compétition. On n'aura pas d'autre choix que d'aller à fond dans l’IA.
Pour faire le lien avec votre roman, est-ce qu'en tant qu'individu, le risque, ce n'est pas qu'on nous enlève l’expérience qui nous permet de prendre des décisions éclairées ?
L’IA est un outil extraordinaire pour analyser des situations, des critères, et donc nous aider à prendre des décisions. Et la tentation peut être grande de s'en remettre à elle de peur de prendre de mauvaises décisions. Le pouvoir de décision est au cœur de notre humanité, on ne peut pas l'abandonner comme ça. Se tromper, et même échouer, c'est quelque chose qui est important pour nous, c'est ce qui nous permet de nous connaître, c'est ce qui nous permet de nous réinventer, d’apprendre ce qui est vraiment important pour nous, ce qui nous permet de nous réaliser, de nous épanouir. Donc si on évite l'échec grâce à des IA, finalement on risque de jamais se connaître.
L’IA va-t-elle souligner notre singularité ou alors complètement la lisser ?
On est à un moment où elle peut faire l’un comme l’autre. Sachant que la société dans son ensemble aspire à ce qu'un lisse notre singularité. A la fin de sa vie, Freud a publié un tout petit bouquin passé inaperçu qui s'appelle « Malaise dans la civilisation ». Il avait pris conscience que finalement la société avait besoin que l’individu réprime sa singularité. Selon lui, pour que la société fonctionne bien, il faut que les gens rentrent dans des groupes, respectent des codes, des règles et finalement ne découvrent pas trop ce qu'ils ont vraiment envie de faire. Alors que l'individu a au contraire besoin d'apprendre à se connaître et découvrir sa singularité et puis l'assumer. Aujourd’hui, on pousse les gens à devenir ce qu'on attend d’eux, à devenir ce qui va plaire aux autres.
UN MOT DE NOTRE CHAÎNE YOUTUBE
Cette semaine, on vous présente le phénomène aux 27 millions d’abonnés sur YouTube : iShowSpeed. Cascades, démesures, mouvements de foule, partout où il passe, il sème le trouble. Notamment sur YouTube où il vient d’être suspendu temporairement après avoir publié une vidéo de lui sautant au-dessus d’une Lamborghini à pleine vitesse…