Hupster

Tous les jours, une question sur l’économie de la création et tous les mercredis une saga décryptée sur une entreprise qui cartonne 💡

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Par Hupster
17 juil. · 5 mn à lire
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👀 La quête de la running parfaite

👉 Ou comment la chaussure de sport est devenue un concentré de technologies

🔎 Hello, on vous emmène cette semaine - pour le retour de notre format saga - dans les coulisses de la chaussure de sport pour comprendre comment on pense aujourd’hui ces alliés indispensables pour gagner des médailles. Ou juste faire un footing.

👟 Où l’on apprend comment Adidas a inventé la technologie Boost

🧨 Au programme : 1 256 mots pour 6 minutes de lecture. Enjoy ! David.


Dans quelques jours, c’est le début des JO. Le monde entier aura les yeux rivés sur les athlètes venus chercher l’or olympique. Mais on peut voir aussi une autre compétition dans la compétition. Celle entre les chaussures de sport. Celles-ci sont devenues des concentrés de technologie et d’innovation. Des évolutions tournées vers la performance (Nike qui pousse à passer sous les deux heures au marathon), mais aussi le marketing, car le grand public est avide aussi d’en profiter, même s’il doit en payer le prix.

On a demandé à Adrien Myra de nous décrypter tout ça avant le début des épreuves. Lui est un designer freelance installé aux Luxembourg et spécialisé dans la chaussure de sport. Il a travaillé neuf ans chez Adidas avant de devenir indépendant et de travailler pour de nombreuses marques, dont Brooks que connaissent bien tous les runners et ultra-trailers, et de nombreux sports comme le cricket ou l’escrime.

Une plongée passionnante dans les coulisses dans ces véritables laboratoires où il faut allier design et performance.

L’Alphafly de chez Nike, le nec plus ultra de la running shoes d’élite // @Nike

Quelle importance a pris la chaussure de sport aujourd'hui en tant qu'outil technologique ?

Ça ne date pas d’aujourd’hui. Quand j'étais gamin, j'étais obsédé par les bulles d'air chez Nike. J'ai racheté d'ailleurs la semaine dernière la Nike Air 180, qui était une des premières chaussures de running Nike avec la bulle visible. Elle a marqué mon enfance.

Les marques travaillent sur des innovations technologiques depuis toujours, ce n'est pas quelque chose de nouveau, c’est juste que maintenant ils mettent le paquet dans ce domaine, également en marketing. Il y a une course effrénée, c’est à qui sortira la dernière innovation le plus rapidement, afin d'améliorer les performances certes, mais aussi parfois pour créer une sorte de buzz médiatique.

Qui a le lead ? Est-ce que les nouvelles marques jouent un rôle ?

Ce sont toujours les marques les plus importantes qui ont le lead. En effet, elles ont les moyens de s'offrir des équipes de designers, ingénieurs et développeurs qui planchent sur des innovations techniques toute la journée dans un atelier qui ressemble parfois à celui de James Bond. Elles ont forcément plus de moyens que les petites marques donc arrivent souvent les premières avec les innovations ce qui ne veut pas dire qu'une petite marque ne peut pas apporter d'idées lumineuses.

Hoka ou ON ont pris des parts de marché, elles disposent de moyens techniques désormais, mais elles restent de petites marques face à des Nike ou des Adidas qui ont amené les innovations et les évolutions les plus importantes dans le monde de la chaussure ces 30 dernières années.


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Comment surgissent ces innovations ?

Ce sont des moyens mais aussi du hasard. Par exemple, quand j’étais chez Adidas, je travaillais à côté de la personne qui a apporté la technologie Boost, ce désormais bien connu matériau utilisé pour les semelles intermédiaires composée de milliers de particules expansées qui permettent un pic d’énergie à chaque foulée. L’idée est venue quand ils se sont rendus chez BASF, cette entreprise de chimie et il se sont dit qu’il y aurait peut-être des choses intéressantes à voir. Il fallait ensuite réussir à en faire quelque chose, puis est né ce matériau qui a révolutionné la chaussure de running aux 3 bandes.

Quand vous travaillez pour un grand groupe, les innovations, on vous les apporte aussi. Vous avez par exemple, le forum des « suppliers » qui viennent au sein d'Adidas dans un hall : 50 fournisseurs ou plus sont là et vous présentent leurs dernières innovations. Vous faites votre « marché » et vous essayez de les adapter à vos projets en cours. C'est aussi un des avantages de travailler pour un gros groupe, cela vous offre plus d'options en tant que designer.

Quelles ont été les innovations les plus marquantes selon vous ?

La fameuse plaque carbone inventée par Nike que tout le monde a essayé de copier depuis. J'étais un peu sceptique par rapport au système lui-même, mais lors de ma collaboration avec Brooks sur la première édition de Hyperion Elite, quand j'ai essayé la première chaussure avec du carbone au pied, j'ai été vraiment bluffé. Il y a beaucoup de bullshit innovation dans les annonces, mais là, c’était vraiment quelque chose de spectaculaire. Et tous ceux qui l’utilisent le disent. Cette plaque alliée à de bonnes mousses et un profile « Rocker » a, là encore, révolutionné la chaussure de running, et a eu un impact clair et direct sur les performances...

Le placard d’un multiple marathonien, ou d’un ultra-trailer : à choisir ! // @DR

Ce genre d’innovation est réservée aux sportifs de haut-niveau et pourtant, ça se vend aussi très bien chez les amateurs…

Dans tous les sports, il y a toujours des gens qui veulent avoir le top du matériel, même si ce ne sont pas des pros. Au début, c’est vrai que ce genre de chaussures étaient réservées à l’élite. Un marathonien s’en servait pour une seule course et après il la jetait. C’était fait pour être le plus léger et le plus performant possible le temps de la compétition, mais pas assez durable pour le coureur moyen.

Ça a changé. Il y a une attente vraiment très forte d'avoir accès aux mêmes innovations technologiques que les sportifs de haut niveau. Il a d’ailleurs fallu rendre ces chaussures durables. Allier le confort, la performance, le design et la durabilité. C’est aussi une question de marketing. On vous vend quelque chose de plus cher dont vous n'avez pas forcément besoin, mais il y a un confort qui s'installe et vous ne voulez plus revenir en arrière, tout comme dans l' automobile ou d'autres domaines...

Comment on pense une chaussure de running ?

À côté des pures innovations techniques, il y a l’innovation qu’on peut apporter en termes de géométrie, de design, essayer de trouver une forme plus efficace qu’une autre. Le rôle du designer c’est aussi de faire que le produit soit vendeur, qu'il soit «cool», qu'il attire les jeunes. Ça passe par les matériaux, les formes, les mix de couleurs, des choses inattendues aussi pour faire le buzz. Sinon on se fond vite dans la masse.

Il faut constamment essayer de penser différemment, sortir des formes qu'on a l'habitude de dessiner. Pour ma part, après neuf années passées chez Adidas, j'avais tendance à placer les mêmes éléments toujours au même endroit et ce n'est pas toujours bon quand vous travaillez avec d'autres marques. Il faut se renouveler sans cesse repousser ses limites, sortir de sa zone de confort, s' adapter aux tendances, rapidement.

Le design doit suivre la performance et le confort. Moi j'adore travailler sur des produits « performance » parce que la fonction prime et les lignes après suivent la fonction. On a des constantes sur une chaussure qui doivent être toujours les mêmes : flexible, respirant, du support sur les côtés, du support à l'arrière et puis les mousses pour que le produit soit confortable pour que le talon soit bien bloqué dans la chaussure… Moi après je dessine autour de ces constantes et je m'adapte aux demandes des clients, la cible, le prix, le marché etc...

La Hoka Clifton 9, l’entrée de gamme hyper novatrice qui fait trembler Nike // @Hoka

C'est quoi vos sources d'inspiration en ce moment ?

Chaque designer a sa façon de travailler et ses domaines de prédilection. Ça finit par lui donner une patte. J'essaye aussi d'avoir des projets variés, de travailler sur des concepts personnels un peu fous parfois pour voir jusqu'où mon imagination peut aller. J’aime bien pousser mes limites. J’ai 17 000 screenshots dans mon téléphone actuellement, je capture des trucs tous les jours pour m’inspirer, ça peut être des chaussures existantes, du sci-fi, des détails, des voitures, la nature, des poissons, des photos de fonds marins, des oiseaux pour les couleurs…

Je travaille beaucoup avec Photoshop, je me suis toujours beaucoup inspiré de l’univers de la science-fiction, des robots, du jeu vidéo. Je bosse aussi beaucoup avec l'IA en ce moment, ça me permet d'atterrir parfois sur des choses complètement inattendues, ce que j'appelle les « happy accidents ».  Ces moments où il se passe un truc un peu bizarre mais il y a un élément là dans le coin qui est super et que je vais pouvoir réintégrer à mon travail en cours. Mais attention, ce n’est pas l'IA qui va faire de vous un designer. En revanche, pour un designer expérimenté, c’est un très bon outil en plus.

Comment on travaille avec les athlètes ?

Ils peuvent être là tôt dans le process pour donner des inputs, et parfois ils ne sont là qu’à la fin. On leur envoie les prototypes, ils les testent et puis on prie pour que tout se passe bien. Et souvent on a des choses à revoir. On s’assure d’avoir de bonnes bases de travail pour ne pas tout refaire mais ça peut arriver, donner lieu à des délais importants, des imprévus. Le footwear design n' est pas une science exacte on doit souvent rebondir, trouver des solutions à des problèmes techniques, ou liés au confort , ou à la production à la chaîne.

Vous allez regarder les chaussures de quels athlètes aux JO ?

Personnellement, j’adore le basket donc je vais suivre ce qui se passe, même si j'ai un peu la frustration de ne jamais avoir bossé sur des produits basketball jusque là. Mais ça va certainement venir à la rentrée en septembre. 

Je vais regarder l’escrime parce que certains athlètes vont avoir aux pieds des chaussures que j'ai dessinées. C'est ce que je préfère dans mon métier, voir les athlètes porter mes produits et me dire que finalement je suis un peu utile, que j'aide réellement des gens passionnés et athlètes à performer mieux se sentir bien, et vivre leur passion ou loisirs à fond.


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Vous voulez savoir comment on passe de 0 à plus de 4 millions d’abonnés sur YouTube ? Réponse dans notre dernier grand entretien avec Jenny Letellier, l’un des deux membres de la chaîne iconique du Monde à L’Envers. On s’est posé 20 minutes avec elle en terrasse et on a appris plein de trucs. Si ça vous tente, c’est ici.