Hupster

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Par Hupster
7 août · 4 mn à lire
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👀 L'IA et nous (3/4) : À la santé des algorithmes

👉 Comment la médecine sous-exploite la puissance statistique de l'IA...

🔎 Hello, on vous emmène tout l’été aux frontières de l’intelligence artificielle. Quatre personnalités racontent leurs expériences, leurs craintes, leurs espoirs avec cette rupture technologique dont on peine encore à mesurer l’impact. Aujourd’hui, Laure Abensur Vuillaume, praticienne hospitalière à l’origine d’un projet d’IA qui pourrait être très utile aux régulateurs du Samu.

🏥 Où l’on apprend que l’IA est une championne pour déceler des fractures.

🧨 Au programme : 1 542 mots pour 5 minutes de lecture. Enjoy ! David.


Laure Abensur Vuillaume est praticienne hospitalière en médecine d’urgence au CHR de Metz-Thionville. Elle partage son temps entre une activité clinique aux urgences du Samu et une activité non-clinique centrée sur la recherche et l’enseignement. Et c’est là qu’elle travaille sur des projets à vocation technologique. Et notamment le développement d’une IA pour aider les régulateurs du Samu à prendre la meilleure décision.

Elle nous raconte son aventure et sa vision du rôle que joue et pourrait jouer l’IA en matière de santé…

Laure a une passion : l’IA et un métier : la médecine. Son goal ultime : allier les deux.

Est-ce que vous vous souvenez d'une rencontre personnelle avec la technologie ?

Ce n’était pas une rencontre avec une IA, mais avec l'idée que la technologie peut changer nos vies. Ma grande tante m'avait acheté une série de dessins animés en cassette vidéo, « Ordy », où l’héroïne était un ordinateur qui avait la forme d'un petit personnage. Elle expliquait le fonctionnement des technologies et se projetait dans le futur en emmenant des enfants avec elle. Ça a bercé mon enfance. J’ai surtout été connectée très rapidement, mes parents avaient des ordinateurs et j’ai commencé à toucher à tout ça très tôt. Ça fait partie de ma culture.

Et cette technologie, vous en avez fait quoi dans votre métier ?

Dans les projets de recherche que je mène, nous avons décroché un appel à projet clinique interrégional sur un projet de développement d'un algorithme pour aider à la prise de décision au niveau du «premier décroché» du Samu. Au moment de ce premier décroché, l’assistant de régulation médicale a 30 secondes pour orienter le patient vers une aide médicale urgente, donc un médecin régulateur urgentiste, ou vers de la permanence de soins, donc un médecin régulateur généraliste. Il a 30 secondes pour se dire si c'est grave ou pas grave.

Les conséquences sont multiples. Pour le patient qui se retrouve dans la « mauvaise » filière, le cheminement du diagnostic du médecin ne va pas être le même. Et il y a des biais cognitifs qui font que le patient va rester dans la mauvaise case, indépendamment de la réalité de son cas.

Dans la prise de décision, il y a une part d’intelligence intuitive qui n’est pas la même chez tout le monde, et qui varie en fonction de l’expérience, de la fatigue, du stress, de la charge de travail… C’est cette intelligence qui permet de prendre une décision pour orienter des cas qui ne cochent pas toutes les cases.

Donc nous sommes en train de développer une IA qui va prendre en compte l’environnement sonore, le son des voix, les bruits en plus de la nature des échanges, des questions afin de sécuriser les prises de décisions, en rationalisant tout ça. L’idée c’est que tout ça prenne la forme d’une alerte rouge qui indique au régulateur qu’il fait face à une situation plus grave qu’il ne le pense ; l’idée est de sécuriser la décision, et donc les soins du patient.

Et cette IA saura expliquer à l’utilisateur pourquoi elle donne cette décision. Cela fait partie des points essentiels dans l’IA en médecine.

Vous êtes combien à travailler là-dessus ?

J'ai rédigé le projet, je suis allée chercher les partenaires, j’ai constitué une équipe, c’est moi qui le coordonne et qui le manage, avec le soutien de la plateforme de recherche clinique du CHR Metz-Thionville. Je travaille notamment avec un industriel, DataStorm, qui gère la base de données massive et sa sécurisation, nous sommes sur des données sensibles, et avec le laboratoire iCube à Strasbourg, laboratoire qui travaille sur l’IA vocale qui va produire l’analyse des voix et des sons.

Là, nous sommes en train de déposer tous les dossiers auprès de la Cnil pour mener une étude rétrospective à partir des dossiers de 300.000 patients. Ensuite, nous ferons une étude en situation réelle avec une cohorte de 500 patients pour voir si ça marche en termes de performance diagnostique et pour comprendre les freins, et notamment les freins utilisateurs. Et seulement là, on entrera dans une phase de validation des dispositifs médicaux. Nous sommes sur un calendrier sur trois à cinq ans pour obtenir des résultats publiables.


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Il s’agit d’utiliser des données qui sont disponibles mais pas du tout exploitées…

Oui et il y a beaucoup de données qui pourraient l'être grâce à l’IA. Je pense notamment aux projets portés avec le Health Data Hub. L’idée, ça serait des entrepôts avec des données de santé auxquelles pourraient avoir accès des chercheurs pour faire des études sur des volumes importants. Parce qu'aujourd'hui quand on fait une étude même rétrospective, on est content d’avoir des cohortes de 1500 patients. Alors que là, on pourrait avoir 20 000 patients. En termes de puissance statistique et d'analyse de données, on serait sur un niveau supérieur. Ces projets sont en plein développement. Nous ne sommes qu’au début.

Comment l’IA est utilisée concrètement en santé aujourd’hui ?

Il y a une application qui est validée et utilisée par les praticiens, c’est l'interprétation automatique des actes de radiologie. Par exemple, il est 4 heures du matin, je fais une radio à quelqu'un, j’ai un doute sur l’existence d’une fracture, et bien l’IA va me dire c’est le cas et c’est à tel endroit. Ça vient sécuriser les décisions. 

C’est pratique et il y a une bonne adhésion du corps médical parce qu'il y a assez de publications scientifiques qui viennent étayer ça. On sait que le couple médecin et IA est plus fort que le médecin seul en radiologie. Il existe aussi des recherches en cours pour mieux détecter des anomalies, notamment le cancer du sein. Certaines IA qui tournent aujourd'hui donnent de meilleurs diagnostics que le radiologue seul. En fait, les deux associés donnent de meilleurs résultats.

Et demain on peut se projeter dans quoi ?

Il y a beaucoup de projets mais qui n’ont pas encore fait totalement leurs preuves. Notamment pour simplifier le quotidien de la pratique médicale: génération automatique de courriers, prise de notes, préparation de la consultation. L’objectif est de libérer du temps médical. Pour cela, il faudra aussi éduquer les patients pour qu’ils sachent prendre en charge leur propre santé avec ces outils. Aujourd’hui, je pense qu’ils ne sont pas vraiment prêts.

Et après, il y a également des essais en cours sur les technologies de prise de constantes sans contact. Nous avons nous-mêmes un projet sur la prise de saturation, avec un autre laboratoire de l’écosystème mosellan. Et je sais que des entreprises ont travaillé sur la fréquence cardiaque ou respiratoire.

Je le redis, il ne faut pas négliger la puissance statistique permise par les IA. En les faisant travailler sur des cohortes très importantes, elles pourraient nous faire ressortir des éléments qui ont pu nous échapper jusqu’à présent, comme des facteurs à risques pour des maladies auto-immunes par exemple.

La France est à la traîne ou en avance ?

On est à la traîne, il existe beaucoup d’initiatives mais on a un manque d'adhésion et de confiance. Si on regarde la Chine par exemple, on est très très en retard. Globalement, les Français sont frileux, avec une peur que la machine « domine le monde »… Je pense que les médias et les films y sont pour beaucoup.

On a mis en place des financements régionaux et nationaux sur les recherches innovantes et les nouvelles technologies, mais ça reste encore peu important et je ne suis pas sûre que les projets retenus soient les bons. Notre projet lié au Samu, on a dû le déposer deux fois car les décideurs avaient du mal à croire que ça pouvait marcher ou ne comprenaient pas forcément l’enjeu. Justement, essayons !

Dans cinq ans, je ne suis pas certaine que beaucoup de choses auront changé. L’évolution médicale est lente. On a encore des générations qui ont du mal à taper à l'ordinateur avec plus de deux doigts. Il faudra, je pense, attendre un changement générationnel et certaines évolutions technologiques. Et surtout, de la validation scientifique pour faire adhérer parfaitement le corps médical.

(On se retrouve mercredi prochain pour un dernier épisode avec l’écrivain Laurent Gounelle)


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Gabriel est l’un des meilleurs français à GeoGuessr, ce jeu qui consiste à retrouver un endroit hyer précis sur la planète à partir d’une simple photo. Au fil du temps, il est aussi devenu créateur de contenus. Aujourd’hui, la diffusion et les audiences de ses parties en ligne lui permettent de vivre financièrement. On est allé le rencontrer pour qu’il nous raconte son histoire. C’est à voir sur notre chaîne YouTube.