Hupster

Tous les jours, une question sur l’économie de la création et tous les mercredis une saga décryptée sur une entreprise qui cartonne 💡

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Par Hupster
31 juil. · 3 mn à lire
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👀 L'IA et nous (2/4) : prête pour écrire un scénar' ?

👉 Comment l'IA reproduit mais ne crée pas encore

🔎 Hello, on vous emmène tout l’été aux frontières de l’intelligence artificielle. Quatre personnalités racontent leurs expériences, leurs craintes, leurs espoirs, leurs rapports avec cette rupture technologique dont on peine encore à mesurer l’impact. Aujourd’hui, Romain Teyssonneyre, directeur technique à TAT Studio qui produit des films d’animation, nous explique le chemin qu’il reste aux IA à parcourir avant de supplanter la créativité humaine.

❌ Où l’on apprend que l’IA n’est pas très douée pour dépouiller des scénarios…

🧨 Au programme : 1 255 mots pour 4 minutes de lecture. Enjoy ! David.


Les As de la jungle, Pil, Pattie et la colère de Poséidon… Tous ces hits, ce sont eux. Et ce sont eux aussi qui produiront la prochaine série Astérix réalisée par Alain Chabat. Les Toulousains de TAT Studio sont devenus en quelques succès un des poids lourds de l’animation mondiale.

On a eu envie de savoir si leur manière de créer était déjà impactée par les IA génératives. Romain Teysonneyre est directeur technique à TAT depuis 15 ans. Son boulot, c’est de maîtriser toutes les questions techniques qui jalonnent la production d’un film d’animation : comment les artistes vont créer leurs images, quels sont les logiciels qu’ils vont utiliser, comment ils vont s'échanger les données…

Alors, toutes les questions liées à l’intelligence artificielle, il les surveille de très près, car cette rupture technologique est de nature à bouleverser toute sa chaîne de création.

Il nous explique pourquoi nous n’y sommes pas encore

Voici à quoi ressemble un film d’animation vu de dos // @TAT

Comment vous avez vu surgir l’IA ?

Nous faisons de la veille technologique et de la veille artistique aussi. On suit beaucoup d’artistes et on regarde régulièrement ce qu’ils sont capables de produire et comment ils le font. Et là, depuis quelques années, on sent vraiment la grosse poussée des IA génératives. Il y a plein d'outils assez intéressants, Midjourney, Dall E, qui permettent de voir que le niveau monte. Et ces derniers temps, devant le flot d'images générées par l'IA, c’est devenu presque un jeu d'essayer de trouver ce qui est généré par l'IA et ce qui reste fait à la main. On y arrive encore mais ça commence à être de plus en plus dur.

Est-ce que vous l’utilisez aujourd’hui au sein de TAT Studio ?

Pour l’instant, nous avons très peu de rapports à l'IA. On utilise des outils du marché. On développe un petit peu nos propres outils à nous, mais on fait très peu appel à l'IA. Et c’est quelque chose qui fait peur aux artistes avec lesquels on travaille, les créateurs, les dessinateurs, et même les scénaristes. La plupart d’entre eux craignent ces nouveaux outils, mais c’est plus par méconnaissance.

On utilise l’IA aujourd’hui pour des tâches très spécifiques, comme enlever le «bruit» d’une image. Mais ce n’est pas de l’IA générative. C’est davantage pour résoudre des contraintes techniques, ce qui nous permet d’aller plus vite ou de nous concentrer sur la valeur ajoutée, gagner du temps dans certaines tâches qui peuvent être un peu longues et fastidieuses.

Mais on ne va jamais vouloir minimiser le travail d'un graphiste ou le remplacer. Ce qui peut nous arriver par exemple, c’est de l’utiliser pour générer des textures. On va lui demander « donne-moi une texture de brique ou une texture de mur sale ». Ensuite, on va utiliser cette texture à la main pour fabriquer une maison ou des murs.

On a essayé de demander à une IA de nous faire le travail de dépouillement, qui consiste à décompter dans un scénario le nombre de personnages par séquence, le nombre d'accessoires, de décors, ce genre de choses. C’est un humain qui fait ce travail. Et quand on l’a fait faire par une IA, ce n’était pas très pertinent, il fallait corriger derrière.

C'est pourtant ce qu'on attend des machines, qu’elle nous accélère des tâches rébarbatives et sur lesquelles nous, êtres humains, avons peu de plus-value et que nous restions à la création et à l'organisation des choses.


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La crainte des artistes d’être remplacés par l’IA vous semble-t-elle justifiée ?

Probablement. Je pense que d'ici quelques années, on pourra convertir une vidéo en animation. Et ensuite, l'animateur n'aura plus à animer, mais seulement à corriger le travail de l’IA. De même, aujourd’hui, nous faisons toutes les animations labiales des dialogues de nos personnages. Peut-être que demain, juste en injectant le son d'un acteur, notre personnage parlera tout seul…

Mais est-ce que c'est vraiment ce qu'on veut ? Je ne suis pas sûr. En tout cas, nous, ça ne nous fait pas envie et nous ne sommes pas demandeurs de telles évolutions.

On a essayé de rassurer les artistes, notamment par rapport aussi à l'éthique de l'entreprise. Ce n'est pas quelque chose qu'on veut faire, en tout cas sur les cinq, dix prochaines années. Peut-être que d'ici là, ça changera, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas.

« Dessine-moi un tigre et un rhinocéros » // @TAT

Comment vous faites de la veille sur ce sujet-là ? Qu'est-ce que vous surveillez particulièrement ?

Pendant six mois, un ingénieur nous a fait une tour d’horizon de tout ce qu'il serait possible de faire autour de l’IA. Il nous a même installé des modèles et il les a nourris avec nos images à nous. Le résultat était assez peu concluant. Par exemple, il a injecté tout un film dans Dall-E et on ne pouvait pas lui demander de sortir des images à partir de ça. C’était très peu qualitatif. Nous, notre truc, c'est de contrôler parfaitement ce qu'on fait. Chaque image, au final, est vue et revue par des dizaines de personnes et validée.

Nous allons être obligés de faire cet exercice d’overview régulièrement, ça évolue tellement vite, c’est difficile à suivre. Il nous faudrait quelqu’un à plein temps, mais on a envie d’investir ailleurs pour le moment.

Vous faites des films d’animation qui sont des hits mondiaux. Est-ce que vous sentez une pression particulière vis-à-vis de l'étranger ?

Je ne sens pas encore une pression, non. Je ne sais pas s'il y a des studios qui ont officialisé le fait qu'ils allaient travailler avec de l’IA. Si ça se fait, ça doit être discrètement parce que les artistes restent frileux.

À quelles conditions l’IA pourrait devenir un outil intéressant pour vous ?

On attend que l'IA soit intégrée dans les logiciels qu’on utilise pour que ce soit un peu plus « user friendly » pour nous, que ce soit directement intégré pour pouvoir générer des choses.

Ça pose aussi la question de la propriété des données utilisées pour nourrir les modèles. On aimerait pouvoir entraîner toutes nos images dans des jeux de données qui nous appartiendraient, mais pour l'instant, ça demande beaucoup de travail.

Il faut garder une chose en tête : une IA se base sur des jeux de données publics, alors que notre métier à nous, ça va être d’imaginer un style unique, quelque chose de nouveau. On n'est pas dans le photoréalisme, on a des personnages stylisés, des environnements stylisés… Pour qu’une IA arrive à un niveau de qualité ou un niveau d’originalité comme ça, ça va demander encore beaucoup de temps.


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